Pourquoi une chaire de sociologie à l’ESA ?
D’abord parce qu’en France, la production sociologique concernant l’agriculture demeure faible, à la différence d’autres disciplines de sciences sociales comme l’économie rurale ou la géographie humaine. Cette situation peut sembler paradoxale tant, depuis les années 1980, des chercheurs en sciences sociales comme des media n’ont eu de cesse de souligner à la fois le retour à la nature / du rural dans la société et le moment historique que traverserait l’agriculture, marqué par de profondes ruptures économiques, politiques et culturelles. Les publications de sciences sociales ou politiques parlent ainsi aujourd’hui, en référence à la modernisation agricole engagée un demi-siècle plus tôt, de fin d’une époque / d’un monde, en la reliant à l’ouverture des marchés, à la montée de pressions environnementales et sanitaires – conjointement aux « crises alimentaires à répétition dans les années 1990-2000 – et à la périurbanisation accélérée des espaces ruraux. De leur côté, nombreux sont les agriculteurs et les acteurs qui travaillent avec eux à vivre ces changements comme une véritable crise de leur métier et de leur identité sociale dans une société où ils se sentent tout à la fois méconnus, critiqués et incompris, dans leurs voisinages les plus immédiats comme dans le monde politique et les medias et même par les consommateurs.
Ainsi, en s’interrogeant sur le sens de ces ruptures et les réponses à leur donner, de plus en plus d’institutions liées à l’agriculture – les organisations professionnelles, les entreprises agroalimentaires et des collectivités territoriales – sont devenues plus réceptives au regard sociologique en sus de leur tropisme économique habituel. La sociologie est donc en quelque sorte interpellée, attendue pour qu’elle s’investisse dans la compréhension de la dimension humaine et sociétale de l’agriculture contemporaine et dans l’analyse des déterminants sociaux des changements que vivent/entreprennent ses acteurs.
L’ESA a acquis depuis la fin des années 1960 une bonne expérience de formation, d’étude et de recherche en sociologie de l’agriculture. Elle emploie aujourd’hui cinq sociologues, engagés dans des travaux menés avec des chercheurs de l’INRA (Institut National de la recherche Agronomique), d’universités, de l’IRSTEA (Institut national de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture), du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), mais aussi en partenariat avec de nombreux acteurs de l’agriculture et de la ruralité (des groupes d’agriculteurs, des organisations professionnelles agricoles, des coopératives, des entreprises agroalimentaires, des instituts techniques, des collectivités territoriales, des banques). Ses dirigeants ont ainsi été amenés à penser qu’une chaire pouvait, en ce domaine, contribuer à combler la distance que la discipline a laissé s’installer depuis plusieurs dizaines d’années avec les acteurs de l’agriculture et leurs réalités professionnelles et sociales et, ce faisant, conforter ses orientations en ce domaine.

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